Quand les personnages vibrent en nous
Vincent Jouve
Sciences Humaines N° 321 - Janvier 2020
Qu’on les trouve drôles, touchants, héroïques, lâches ou odieux, les personnages de fiction nous émeuvent souvent davantage que nos voisins de palier. Mais pourquoi nous attachons-nous à des êtres de papier ? Et que nous apporte cette expérience ?
Comment expliquer qu’on puisse être ému par des êtres qui n’existent pas ? Et, même, plus émus par des êtres qui n’existent pas que par des êtres qui existent ? Comme Umberto Eco le remarquait naguère (1), nous pouvons compatir si nous apprenons que notre meilleur ami a été abandonné par sa bien-aimée ; mais personne ne s’est jamais suicidé en apprenant qu’un de ses amis a subi une rupture amoureuse. Or, on sait qu’un certain nombre de lecteurs des Souffrances du jeune Werther (1774) se sont donné la mort en apprenant que le héros s’est suicidé à cause de son amour infortuné. Les psychologues ont même appelé ce phénomène « l’effet Werther ». Comment est-il possible qu’on soit plus affecté par ce qui arrive à Werther, personnage de fiction, qu’à ce qui arrive à l’un de nos amis bien vivants ?
Avant d’examiner ce paradoxe, commençons par rappeler une loi psychologique banale : ce qui nous concerne possède un degré d’importance supérieur à toute autre chose – on réagit aussitôt si on entend son nom cité dans une conversation. Or, en tant que lecteur, je suis nécessairement concerné par ce qui se passe dans le monde du texte dans la mesure où je ne me contente pas de regarder ce monde : je l’aide à naître, je le fais vivre, c’est de moi qu’il tire sa substance. [...]
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