Anthropologie structurale zéro
Anthropologie structurale zéro, Claude Lévi-Strauss, Seuil, 2019, 336 p., 23 €
Nicolas Journet
Sciences Humaines N° 321 - Janvier 2020
Sous ce titre, pour le moins énigmatique, Vincent Debaene a rassemblé et, pour certains, traduit pour la première fois en français, dix-sept articles de Claude Lévi-Strauss (1908-2009) remontant à sa période new-yorkaise (1941-1947).
Le « zéro » du titre ne s’explique pas seulement par le fait que ces textes sont les laissés-pour-compte des ouvrages fondateurs (Anthropologie structurale 1 et 2) que Lévi-Strauss a édités lui-même en 1958 et 1973. Comme V. Debaene le souligne dans sa préface, l’anthropologue a, en 1947, déjà vécu bon nombre des expériences (les terrains lointains, la guerre, l’exil) qui façonneront sa posture d’intellectuel, mais il n’exprime pas encore ouvertement ses désillusions face au devenir des civilisations humaines, comme il le fera dans Tristes tropiques (1954). Pour autant, la continuité de ses centres d’intérêt et des formes mêmes de sa pensée savante ne peut que frapper le lecteur. Son long article sur la sociologie française (1945), sur Émile Durkheim et Marcel Mauss en particulier, préfigure, avant l’appel à la linguistique, le comparatisme analytique qui sera jusqu’au bout sa méthode. En consacrant un long développement à l’œuvre de Lucien Lévy-Bruhl, l’anthropologue débroussaille le sujet qui sera celui d’un de ses livres les plus importants (La Pensée sauvage, 1962). L’article sur Edward Westermarck annonce sans le dire sa thèse sur les structures élémentaires de la parenté (1949) ; celui sur la chefferie amérindienne (1944) anticipe avantageusement sur ce qui deviendra un célèbre passage de Tristes tropiques. De la théorie de l’échange de mariage à celle de la guerre comme transaction ratée, de la sensualité du tatouage chez les Caduveos au riche symbolisme des masques de la côte nord-ouest des États-Unis, ce sont les thèmes de l’œuvre de toute sa vie qui sont ainsi rassemblés et donnés à lire. On dira peut-être que le structuralisme n’y est pas encore formellement exposé dans toute sa rigueur, mais on reconnaîtra sans peine l’élégance exigeante de l’écriture de Lévi-Strauss. Plus encore, ce recueil posthume témoigne, s’il le fallait, du fait que le développement d’une pensée originale résulte plus souvent qu’on le pense d’une rumination de longue haleine.
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